Optimisation fondée sur des décisions

La Supply Chain Quantiative met l'accent sur la suggestion automatique de décisions logistiques très performantes. L'objectif n'est pas de fournir des artéfacts numériques tels que des prévisions hebdomadaires : ceux-ci sont seulement considérés comme des calculs arbitraires internes utilisés pour quantifier les décisions finales. Une décision est une réponse à un problème logistique sur lequel il est possible d'agir et dont les conséquences sur la chaîne d'approvisionnement sont tangibles, voire physiques. Du point de vue de la planification logistique classique, la priorité accordée aux décisions qui portent sur l'approvisionnement peut sembler surprenante, car hors du schéma classique « planning vs. exploitation ». Pourtant, l'optimisation de la chaîne d'approvisionnement est facilitée de façon spectaculaire lorsque les décisions sont au premier plan. Dans la présente section, nous clarifions le concept des décisions logistiques, passons en revue les décisions les plus fréquentes et détaillons les aspects clés d'une approche axée sur de telles décisions.

Définition des décisions éligibles

La Supply Chain Quantiative consiste à adopter un point de vue numérique et statistique sur les difficultés rencontrées dans le domaine de la logistique. Cependant, ce point de vue n'est pas adapté à tous les cas de figure et afin de définir si une perspective quantitative est adaptée à une difficulté donnée, les conditions suivantes doivent être remplies :

  • Répétabilité : l'élaboration d'une solution numérique nécessite des efforts qui ont un coût. Pour optimiser la rentabilité d'une chaîne d'approvisionnement, le processus d'optimisation lui-même ne doit pas coûter plus cher que les bénéfices attendus. D'une manière générale, les problèmes routiniers, de réapprovisionnement par exemple, qui doivent être réglés chaque jour ou chaque semaine, sont de bien meilleurs candidats à une approche quantitative que les problèmes exceptionnels, le développement dans un nouveau pays par exemple.
  • Décisions limitées : afin de garder la maîtrise de la complexité de la solution logicielle, il est préférable de privilégier les problèmes logistiques résolubles par des décisions d'un type bien défini, qui, idéalement, reposent sur des chiffres. Par exemple, un processus automatisé peut facilement apporter une réponse pertinente à une question circonscrite, comme l'arrêt ou non du stockage d'un produit, lorsque la demande est trop faible pour en justifier le coût. À l'inverse, une question très ouverte comme la définition des modifications à apporter au fonctionnement d'une équipe de gestion d'un entrepôt n'obtiendra pas de réponse satisfaisante de façon automatique.
  • Historiques des données : les solutions logicielles ne peuvent fonctionner à partir de rien. Les connaissances nécessaires à la résolution de problèmes logistiques peuvent être intégrées dans le logiciel en tant que règles définies manuellement. Cependant, la création d'un ensemble de règles cohérentes et performantes dédiées à la prise de décisions est une démarche ardue. La plupart des approches modernes extraient toutes les connaissances nécessaires de l'historique des données (ventes, achats, etc.) et restreignent la saisie de règles à des politiques logistiques bien précises, par exemple les quantités minimales de commande, qui ne doivent surtout pas être déduites de l'historique des données par le logiciel.

Le génie logiciel, et notamment l'apprentissage automatique, progressant, la gamme des décisions accessibles à un système informatique s'élargit chaque année. Par exemple, les premiers systèmes d'optimisation du stock étaient limités aux produits dont l'historique des ventes s'étalait sur plusieurs mois, alors qu'aujourd'hui tous les produits peuvent être pris en compte, même ceux qui n'ont pas encore été vendus.

De plus, le génie logiciel permet parfois de régler des problèmes considérés par le passé comme difficile à résoudre manuellement par un expert logistique. Les systèmes modernes d'optimisation du stock peuvent par exemple désormais prédire quels enregistrements de stock ont le plus de risques d'être inexacts et permettent donc d'établir des priorités en matière d'inventaire. Cette fonction obtient de bien meilleurs résultats que l'approche plus traditionnelle de comptage linéaire de tous les SKU.

Exemples de décisions logistiques

Les chaînes d'approvisionnement sont incroyablement variées, ainsi, une difficulté majeure dans un secteur d'activité peut sembler anecdotique dans un autre. Dans la présente section, nous passons rapidement en revue les décisions les plus courantes et pour lesquelles la Supply Chain Quantiative est adaptée.

  • Commandes d'achat : il s'agit de décider des quantités exactes de chaque produit à acheter à chaque fournisseur. Cette décision est actualisée chaque jour, même si aucune commande d'achat n'est passée la plupart du temps. Chaque commande d'achat doit prendre en compte toutes les contraintes de commande (quantités minimales de commande) et de transport (containers par exemple). De plus, elle doit aussi éventuellement comprendre le choix du ou des modes de transport (maritime, aérien…).
  • Ordres de production : il s'agit de décider des quantités exactes à produire. Un ordre de production doit prendre en compte toutes les contraintes de production qui peuvent imposer des lots minimaux de production. De plus, la capacité maximale de production peut être inférieure à la demande en période de pic. Dans ce cas, du stock doit être produit en avance.
  • Équilibrage du stock : il s'agit de décider si les unités actuellement en stock à un emplacement donné doivent être déplacées vers un autre site. De tels mouvements sont généralement nécessaires lorsque les niveaux de stock ne correspondent pas à la demande prévue pour chaque site. À nouveau, la décision est actualisée chaque jour, même si la plupart du temps, pour la plupart des produits, les mouvements ne sont pas rentables.
  • Liquidation du stock : il s'agit de décider si les unités actuellement en stock doivent être détruites ou vendues via un canal secondaire (avec d'importantes remises généralement). En effet, le stock mort peut encombrer inutilement les entrepôts et générer des coûts supérieurs à la valeur économique du stock en lui-même. En fonction du secteur, le stock peut être liquidé grâce à des promotions, des canaux spécialisés ou détruit.
  • Stockage ou livraison directe : il s'agit de décider si la demande sur un produit est suffisante pour justifier que celui-ci soit acheté, stocké, puis vendu ou s'il est plus intéressant de passer par la livraison directe par un tiers lorsque le produit est demandé. Les produits livrés directement génèrent une marge inférieure, mais leurs coûts de stockage sont également moins élevés. La décision consiste à établir la liste exacte des produits à stocker tout en gardant le contrôle de la diversité du stock.
  • Recomptage ciblé : il s'agit de décider si un SKU doit être recompté à cause d'enregistrements électroniques potentiellement erronés et incohérents avec le nombre d'unités réellement disponibles dans l'entrepôt. Cette décision est un compromis entre le coût de la main-d'œuvre nécessaire au recomptage et les conséquences de stocks fantômes sur les performances logistiques. En pratique, les erreurs d'inventaire sont plus importantes dans les magasins ouverts au public que dans les entrepôts ou les usines accessibles uniquement à des employés.

Il faut souligner que certains secteurs spécifiques ont leur propre ensemble de décisions. Les exemples ci-dessous dépendent plus du contexte que ceux listés ci-dessus.

  • Stock de magasin de détail : il s'agit de décider de la liste exacte des produits qui doivent être présents dans chaque magasin. Parfois, un magasin ne peut stocker l'ensemble des produits du catalogue et n'en propose qu'un sous-ensemble. L'optimisation du choix des produits stockés maximise les performances du magasin en fonction de sa capacité de stockage. Le problème est encore plus complexe si les magasins ne disposent que d'une seule unité de chaque produit du sous-ensemble prédéfini, comme dans le secteur du luxe.
  • Remplacement opportun : il s'agit de décider si le remplacement d'un produit est acceptable et rentable. Par exemple, une boutique en ligne d'aliments frais peut accepter des livraisons en avance de quelques jours, pratique qui peut engendrer la rupture de stock tardive d'un produit frais déjà commandé et donc conduire à la modification de la commande du client. Dans cette situation, proposer un produit alternatif est potentiellement plus rentable pour le détaillant et le service offert au client est alors meilleur que si la commande reste incomplète.
  • Cession opportune : il s'agit de décider de vendre une partie du stock, en général des pièces réparables, qui devait être utilisé en interne. L'état d'un stock de pièces réparables alterne en général entre en état de marche et en panne : les pièces sont révisées, réinstallées, réparées puis à nouveau révisées. Dans certaines circonstances, comme lors d'une baisse de la demande, le stock de pièces en état de marche peut devenir trop important pour les besoins de l'entreprise. Dans ce cas, il faut trouver un compromis entre revente des pièces d'occasion, à un prix remisé, afin de récupérer une partie de la valeur d'origine du stock et augmentation du risque de ne pas être en mesure de réviser une pièce à temps.
  • Conservation d'un stock en panne : il s'agit de décider si une réparation doit être effectuée immédiatement ou si la pièce en panne doit être stockée. La réparation de pièces peut être moins coûteuse que l'achat de nouvelles pièces, mais le stock de pièces en état de marche peut être suffisant pour couvrir la demande sur une longue période. Ainsi, vous devez arbitrer entre un décalage des coûts de réparation dans le futur (avec la possibilité que ce coût ne soit jamais engagé si la demande évolue vers d'autres pièces) et l'augmentation du risque de ne pas être en mesure de réviser une pièce à temps.
  • Approvisionnement opportun : il s'agit de décider s'il est pertinent d'effectuer une opération d'approvisionnement pour établir un point de comparaison du prix d'un article donné. Dans certains secteurs, le prix des articles est relativement opaque. Plusieurs jours de travail sont parfois nécessaires pour connaître le prix d'un article, qui peut être un équipement très cher. Lorsque l'exploitation a besoin de milliers d'articles, il faut trouver un compromis entre acheter des articles plus chers et payer la main-d'œuvre nécessaire à la recherche de sources d'approvisionnement.
  • Préserver les lots : il s'agit de décider s'il vaut mieux vendre seule la dernière unité d'un produit donné ou la garder pour la vendre plus tard au sein d'un lot. En effet, dans certains cas, la disponibilité de lots, combinaisons de pièces ou de produits, est très importante, alors que la disponibilité de pièces isolées l'est moins. Suite à la vente de la dernière unité, une rupture de stock peut apparaître pour le lot qui contient ce produit et qui est plus important. Par conséquent, le compromis consiste à choisir entre les bénéfices de la vente d'une pièce seule et les inconvénients d'une rupture de stock ultérieure sur le lot dont les conséquences sont plus grandes.

Avant d'être formulées de cette façon, les décisions logistiques sont généralement prises implicitement, par des humains ou des logiciels. Par exemple, une configuration de stock min/max prend implicitement plusieurs décisions, pas seulement au sujet des quantités commandées : tant que la valeur max n'est pas nulle, le produit est gardé dans le stock. De plus, aucun recomptage n'a lieu avant le déclenchement d'un réapprovisionnement (autre décision implicite) etc. Malheureusement, comme il est impossible d'optimiser ce que n'est pas mesuré, ce manque de formalisation des décisions elles-mêmes empêche l'amélioration systémique des performances logistiques obtenues via ces décisions.

Artéfacts numériques vs. décisions

Face à des problèmes logistiques complexes, les professionnels risquent de confondre la fin et les moyens. Par exemple, dans le cas d'un besoin de réapprovisionnement, la mise en place de prévisions hebdomadaires de la demande associées à un SKU n’est qu'un ingrédient de certaines recettes numériques qui permettent de calculer la quantité à commander. Les prévisions hebdomadaires ne sont que des résultats intermédiaires, c'est la quantité commandée qui est la décision finale. Du point de vue de la Supply Chain Quantiative, ces calculs intermédiaires sont appelés « artéfacts numériques ». La Supply Chain Quantiative n'en nie pas l'importance, mais ces derniers restent des expressions numériques transitoires et non réutilisables qui contribuent au résultat final que sont les « décisions logistiques ».

En matière d'optimisation numérique, c'est une erreur de croire qu'optimiser des artéfacts numériques à partir d'indicateurs mathématiques arbitraires (prévisions de la demande optimisées avec le concept d'erreur absolue moyenne pondérée en pourcentage) produit mécaniquement des retours financiers. Même si cela peut paraître contre-intuitif, en logistique ce n'est généralement pas le cas. Les problèmes logistiques sont souvent hautement asymétriques. Dans l'aéronautique par exemple, une pièce manquante de 200 euros peut clouer au sol un appareil de 200 millions d'euros. Le nombre de pièces à stocker n'est pas obligatoirement déterminé par la demande : le coût de la pièce comparé à celui d'une rupture de stock sur celle-ci peut entièrement dominer le processus de décision.

En revanche, la Supply Chain Quantiative met l'accent sur le fait que seules les décisions importent, car ces dernières sont les seuls éléments tangibles dont les conséquences financières sur l'entreprise sont réelles et mesurables. Ainsi, s'il est très important de remettre en cause les « performances » des décisions, les responsables logistiques doivent faire montre de scepticisme envers les KPI qui portent sur des résultats non contraignants, évasifs et temporaires comme des prévisions hebdomadaires ou mensuelles de la demande.

Possibilités restreintes, entre réalité et fiction

Les décisions logistiques sont généralement limitées par des contraintes : les réponses ne sont valides que si elles se plient à un ensemble de contraintes numériques. Par exemple, les commandes d'achat peuvent être sujettes à des quantités minimales de commande, qui sont des contraintes non linéaires. De plus, un entrepôt a une capacité de stockage finie, autre contrainte non linéaire.

Les contraintes sont fréquemment issues de moteurs économiques de base associés aux opérations d'exploitation logistique : en prenant en compte un niveau de prix donné, il se peut que la distribution d'un produit ne soit économiquement viable que si ce produit est emballé par palette et, donc, celui-ci ne peut être vendu que par lot de 50 unités par exemple, soit une palette complète.

Cependant, les contraintes peuvent venir de règles organisationnelles arbitraires. Par exemple, une entreprise peut décider que le budget annuel des achats d'un de ses départements doit rester inférieur à 1 million d'euros. Cette contrainte budgétaire est définie bien avant que les ventes de ce département soient connues. Dans une telle situation, les décisions d'achat doivent respecter une contrainte non linéaire conséquence d'un processus budgétaire relativement arbitraire.

La Supply Chain Quantiative vise à refléter autant que faire se peut les contraintes logistiques réelles, tout en permettant la mise en place d'organisations plus récentes, éventuellement revues et corrigées, et qui fonctionnent sans les entraves imposées par les aspects arbitraires des processus utilisés précédemment. En effet, en logistique, les plupart des contraintes arbitraires viennent d'un manque d'automatisation : si le budget optimal par département ne peut être estimé de façon fiable au jour le jour en fonction de toutes les préoccupations de l'entreprise dans son ensemble, il est normal de le définir chaque année ou chaque trimestre.

Définition des priorités et coordination

Presque toutes les décisions logistiques sont interdépendantes : chaque unité supplémentaire achetée à un fournisseur occupe de la place dans l'entrepôt, jusqu'à ce que ce dernier soit plein et que l'exploitation s'arrête complètement. Ces corrélations sont généralement indirectes et difficiles à résoudre d'un point de vue numérique, mais elles n'en sont pas moins importantes d'un point de vue logistique, et même stratégique. Si le taux de service global est de 99 %, ce qui est très bon, mais que le taux de service offert au plus gros client est de 85 % parce que toutes les ruptures de stock ont lieu dans le groupe de produits achetés par ce client, l'entreprise risque sérieusement de le perdre.

La méthode la plus simple pour exploiter au mieux des ressources logistiques partagées, mais limitées, consiste à donner différentes priorités aux décisions. Par exemple, comme la capacité de stockage d'un entrepôt et la main-d'œuvre sont toutes deux limitées, l'objectif n'est pas uniquement d'acheter une unité supplémentaire rentable, mais d'identifier l'unité la plus rentable parmi tout le catalogue des produits. Si les décisions d'achat de stock sont prises de façon isolée, l'espace disponible dans l'entrepôt risque d'être épuisé ou le budget dépensé sur des produits peu rentables.

En pratique, la définition des priorités nécessite de modifier en profondeur le logiciel d'analyse sur lequel repose la chaîne d'approvisionnement. Au lieu de traiter chaque décision isolément, comme dans les méthodes logistiques primitives (méthode min/max par exemple), toutes les décisions sont rassemblées et triées en fonction de leur rentabilité estimée. Un tel processus est faisable avec des solutions logicielles modernes, mais nécessite beaucoup plus de ressources de calcul que les anciennes méthodes.

Les décisions doivent être coordonnées pour que toutes les contraintes transversales qui s'appliquent aux opérations logistiques soient prises en compte. Par exemple, lors de commandes de marchandises auprès de fournisseurs étrangers, il peut être très intéressant économiquement de remplir entièrement un container. La difficulté n'est pas alors de choisir les quantités par produit, mais de choisir les quantités qui permettent de remplir exactement un container. Les contraintes transverses sont omniprésentes en matière de logistique : peaufiner l'approvisionnement d'une nouvelle collection dans la mode, garantir un taux de service élevé aux clients qui cherchent une liste de produits dans un magasin de bricolage, ne pas épuiser l'espace disponible dans l'entrepôt central avec les commandes surdimensionnées d'un magasin au détriment des commandes des autres magasins.

La façon traditionnelle et inefficace de résoudre ces problèmes de coordination consiste à effectuer un calcul en deux étapes qui dans un premier temps les ignore, puis corrige les résultats numériques initiaux pour s'adapter aux contraintes. Dans l'exemple du container présenté ci-dessus, les quantités à commander sont d'abord calculées sans prendre en compte l'aspect remplissage du container, puis ces quantités sont corrigées pour qu'elles puissent tenir dans le container. La principale faiblesse d'un tel calcul en deux étapes est que la deuxième étape ignore entièrement tous les moteurs économiques utilisés lors du calcul initial. En d'autres termes, la correction des résultats sape potentiellement les efforts effectués pour obtenir des décisions rentables à la première étape. Les logiciels modernes abordent ces situations avec des « solutionneurs numériques », qui peuvent directement traiter de telles contraintes transverses. Là encore, ces solutionneurs sont beaucoup plus gourmands en ressources informatiques que leurs homologues naïfs à deux étapes, ce qui n'est pas un problème de nos jours, au vu des ressources disponibles.