Délais d'approvisionnement

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Par Joannes Vermorel, octobre 2020

Le délai d'approvisionnement correspond au temps qui s'écoule durant l'intervalle entre le commencement et l'accomplissement d'un processus. Dans les supply chains, lorsque des produits sont achetés, transformés, ou entretenus, des délais d'approvisionnement, généralement mesurés en jours, sont induits. Du point de vue de la planification, les délais d'approvisionnement ont leur importance, car ils sous-entendent que la plupart des décisions de routine doivent être prises en avance afin de produire l'effet escompté, comme par exemple le fait de maintenir une certaine qualité de service. Généralement, la nécessité d'une prévision de la demande émerge alors également du fait de l'existence des délais d'approvisionnement, puisque la pertinence de la décision (comme le réapprovisionnement d'un stock) dépend d'événements futurs, alors inconnus, qui auront un impact sur la supply chain pendant toute la durée du délai d'approvisionnement.

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Causes et conséquences des délais d'approvisionnement

Les délais d'approvisionnement définissent considérablement la façon dont la supply chain opère, ainsi que la plupart de ses éléments financiers, comme le fond de roulement nécessaire, ou le rendement des capitaux employés (RCE). En effet, des délais d'approvisionnements plus importants impliquent que cela prendra plus longtemps d'achever un cycle d'inventaire ou les matériaux ou produits sont achetés, possiblement transformés, puis revendus.

Des délais d'approvisionnement plus importants comprennent automatiquement des engagements de stock plus élevés, et ce même lorsque les stocks disponibles peuvent paraître bas. Par exemple, si une entreprise en Europe commande des marchandises venues d'Asie destinées à être livrées par conteneur, l'entreprise s'engage à vendre ou à consommer ces marchandises dès le jour où elle passe la commande. Cependant, dans ce genre de situation, il faudra généralement plus de 6 semaines pour que les niveaux de stocks en Europe reflètent cet engagement.

Par ailleurs, des délais d'approvisionnement importants rendent l'entreprise plus dépendante des prévisions. Si l'on reconsidère l'exemple ci-dessus, l'entreprise n'a pas les moyens de passer une commande en se basant simplement sur ses besoins actuels. Une fois la commande livrée, la situation aura évoluée. Les stocks actuels auront d'autant plus baissé, du fait de la consommation qui aura continué, et la demande aura certainement changé, et ce rien que du point de vue de la saisonnalité.

Les délais d'approvisionnement représentent une limite inférieure de l'agilité maximale qu'une entreprise peut atteindre. En règle générale, si les conditions du marché changent brutalement, alors l'entreprise reste soumise à ses décisions passées, globalement pendant toute la durée des délais d'approvisionnement. Il existe divers moyens d'atténuer ces effets, à commencer par les conditions contractuelles avec les fournisseurs. Néanmoins, les risques sous-jacents peuvent rarement être totalement éliminés, et sont simplement déplacés au sein de la supply chain.

En prenant en considération tous les impacts négatifs venant de délais d'approvisionnement prolongés, il est possible de se demander pourquoi les entreprises ont fréquemment recours à ce qui semble (de manière subjective) être de longs délais d'approvisionnement. Il se trouve que de multiples facteurs économiques font pencher la balance en faveur de délais d'approvisionnement prolongés.

La spécialisation est à l'origine de l'allongement des délais : certains pays possèdent des industries assez uniques (1) qu'il est difficile ou coûteux de remplacer à échelle locale. De telles industries concentrées au même endroit ont historiquement majoritairement émergé à cause de matériaux de grande valeur qu'il était facile de transporter. Cependant, même si les avions peuvent atteindre n'importe quel point du globe en moins de 24 heures, les douanes et procédures diverses ont tendance à accroître de manière substantielle les délais d'approvisionnement réels lorsque l'on envisage de faire appel à des fournisseurs étrangers.

Les économies d'échelle se tournent également vers des délais d'approvisionnement plus longs. En augmentant la taille des lots (souvent matérialisés par les MOQ, les quantités minimales de commande), les fabricants ou transporteurs peuvent réduire leurs coûts. Néanmoins, à mesure que la taille des lots augmentent, la quantité de lots réduit, ce qui réduit également leur fréquence (toutes choses égales par ailleurs, notamment la demande). Nonobstant, les industries ne sont pas toutes également sensibles aux économies d'échelle, qui tendent à plafonner en fonction de la technologie qui est applicable.

Abaisser les quantiles élevés

S'il est possible d'améliorer un délai en réduisant sa durée moyenne, ce sont généralement les améliorations concernant les pires scénarios - c'est-à-dire les situations les plus longues - qui importent le plus. Dans les supply chains, les problèmes les plus importants (lorsqu'ils sont mesurés en termes d'impact) ont tendance à se concentrer à la fin : ce sont donc les délais élevés inattendus qui provoquent des ruptures de stock ou des interruptions de la production, et non les petits obstacles.

Une des manières les plus simples d'évaluer les pires scénarios possibles consiste à utiliser utiliser les mesures quantiles. A titre d'exemple, si l'on dit d'un fournisseur que son délai d'approvisionnement est de 7 jours pour un quantile de 95%, cela signifie que 95% des commandes passées auprès de ce fournisseur sont livrées en moins de 7 jours. Ces quantiles "élevés", c'est-à-dire proches de 100%, peuvent diverger de manière non négligeable du délais d'approvisionnement moyen. Le même fournisseur peut parvenir à livrer en moyenne en 2 jours, ce qui représente moins d'un tiers de son estimation du quantile élevé pour le même délai d'approvisionnement.

Afin d'éviter ces problèmes de qualité du service, tous les stocks tampons au sein de la supply chain (peu importe la méthode utilisée) tendent à croître de manière linéaire, non pas avec la moyenne du délai d'approvisionnement, mais avec certains quantiles élevés du délai d'approvisionnement. En effet, les stocks tampons existent précisément pour s'adapter aux variations des conditions de la supply chain. Les deux facteurs dominants latents derrière les variations inattendues qui impactent la supply chain ont tendance à être les suivants : une demande instable et un délai d'approvisionnement variable.

Les divers délais d'approvisionnement

Le délai d'approvisionnement total, des commandes passées originellement auprès des fournisseurs, aux livraisons clients, peuvent généralement être décomposées en diverses étapes intermédiaires, possiblement des dizaines. Afin de soit réduire la valeur du délai d'approvisionnement, soit sa variabilité, il est généralement efficient de décomposer ce délai total en ses sous-éléments notables, qui sont plus aisément analysables et améliorables.

Par exemple, un grossiste qui distribue ses marchandises via des fournisseurs étrangers peut faire face à :

  • Un délai de commande, dû au processus d'achat hebdomadaire du grossiste lui-même.
  • Un délai d'opportunité, dû aux MOQ imposés par les fournisseurs.
  • Un délai de fabrication, nécessaire pour que les fournisseurs puissent répondre à la commande achetée.
  • Un délai de transport, requis par la compagnie de fret.
  • Un délai administratif, pour passer la douane.
  • Un délai de réception, pour que le grossiste puisse faire l'inventaire et le contrôle qualité.
  • Un délai d'expédition, nécessaire pour que le centre de distribution puisse répondre aux commandes des clients.
  • Un délai de livraison du dernier kilomètre, nécessaire pour que le transporteur puisse finaliser la livraison auprès des clients.

Pour chacune des opérations, il est généralement intéressant de réduire à la fois le délai moyen et la variabilité du délai.

Le suivi de toutes ces opérations implique un travail administratif conséquent, qui peut être considérablement allégé par les systèmes informatiques modernes, à l'aide de codes barre et/ou de RFID (radio-identification). Les enregistrements électroniques sont communément stockés au sein des systèmes informatiques des entreprises concernées. Les avantages s'étendent bien au-delà de l'optimisation des divers délais, puisque ces systèmes garantissent une tracabilité des marchandises et, dans une certaine mesure, empêchent la diminution des stocks.

Jusqu'à la fin des années 1990, le stockage et le traitement de toutes les données utilisées nécessitait des ressources informatiques coûteuses, d'où le fait qu'il n'était pas toujours économiquement possible de les acquérir, et encore moins de conserver toutes les petites données générées par le flux de marchandises physiques au sein de la supply chain. Cependant, depuis le début des années 2010, les coûts du stockage des données et de l'informatique sont descendus bien en-dessous du point où les ressources informatiques brutes n'ont guère d'importance lorsque les flux physiques sont en jeux. Néanmoins, les coûts informatiques, notamment les systèmes d'intégration, peuvent empêcher l'acquisition de ces enregistrements électroniques.

Afin d'améliorer les délais d'approvisionnement, et donc, en règle générale, de réduire leurs quantiles élevés comme indiqué ci-dessus, des mesures sont nécessaires. Les mesures fines des délais d'approvisionnement sont extrêmement utiles lorsqu'il s'agit d'analyses les causes profondes. En effet, étant donné que les opérations varient grandement d'une étape à l'autre, la nature des améliorations apportées tend à varier grandement également.

Délai de commande

Le délai de commande correspond généralement au temps qui s'écoule entre la commande réalisée par le client, et la livraison des marchandises. Cette durée est notable car elle représente la "saveur" du délai d'approvisionnement à laquelle le grand public (par opposition aux spécialistes de la supply chain) sont habitués. Dans de nombreux secteurs, au-delà du commerce électronique B2C, le délai de commande est étroitement lié à la qualité du service. Les ruptures de stocks tendent notamment à représenter le facteur dominant conduisant les délais de commande à être anormalement longs.

Une partie du défi que représente l'amélioration des délais de commande consiste non pas à réduire les délais en eux-mêmes, mais à définir les bonnes attentes venant des consommateurs vis-à-vis de la date de livraison. De nombreuses grandes entreprises de commerce électronique semblent notamment avoir adopté depuis plus d'une décennie l'approche qui consiste à partager une estimation des prévisions quantiles concernant le délai de commande, qui joue le rôle d'une possible limite supérieure du délai. Le biais dans l'estimation du délai est volontairement introduit afin de réduire la fréquence des situations lors desquelles les marchandises ne sont pas livrées dans les temps.

Prévoir les délais d'approvisionnement

Une anticipation juste des délais d'approvisionnement à venir est un ingrédient essentiel pour l'optimisation d'une supply chain. De manière très similaire à la demande, les délais d'approvisionnement doivent faire l'objet de prévisions, généralement en exploitant les données diachroniques lorsque cela est pertinent.

Bien que la prévision des délais d'approvisionnement ne soit pas (encore) une pratique commune au sein des équipes de planification en charge de la "demande", il est important de souligner que la plupart des cyclicités qui s'appliquent à la demande, peuvent aussi être appliquées aux délais d'approvisionnement. Par exemple, les délais ont tendance à être soumis aux phénomènes de saisonnalité, de jour du mois, et de jour de la semaine. Les délais évoluent au cours du temps. A titre d'exemple, un fournisseur peut revoir son propre processus pour réduire les délais d'approvisionnement, ou les augmenter pour réduire ses dépenses. La quasi-saisonnalité a également son importance avec des événements comme celui du nouvel an chinois, qui augment périodiquement les délais d'approvisionnement car de nombreuses usines ferment en Asie durant cette période.

Les prévisions probabilistes devraient être préférées aux délais d'approvisionnement, puisque, comme indiqué ci-dessus, ce sont les quantiles élevés qui dirigent les implications économiques des délais. Les coûts et problèmes sont concentrés à la fin de la chaîne de distribution. Cependant, il faut immédiatement mettre en évidence le fait que les distributions normales (Gaussian) ne doivent pas être utilisées pour les délais d'approvisionnement. En règle générale, les délais ne sont jamais distribués normalement, et utiliser un tel modèle mène à des sous-estimations conséquentes des quantiles élevés ce qui, en retour, est la recette idéale pour générer un flux continu de problèmes de service.

Les délais d'approvisionnement peuvent être modélisés de manière plus appropriée comme des distributions multi-modales qui reflètent le système physique sous-jacent. Par exemple, lors du déclenchement d'une chaîne de production, les délais de production ont tendance à être fortement prévisibles, mis à part si l'un des produits bruts vient à manquer, auquel cas le délai de fabrication peut être considérablement prolongé. Par conséquent, la modélisation pratique de la distribution de probabilité implique généralement un mélange entre des distributions discrètes et paramétriques.

La prévision probabiliste du délai d'approvisionnement est censée produire une variable aléatoire discrète pour chacune des phases internes. Il est généralement raisonnable de considérer que ces phases internes sont statistiquement indépendantes (comme le délai imposé par les douanes est strictement indépendant du délai de fabrication). Dans ces cas-là, les variables aléatoires peuvent être additionnées de manière canonique, ce qui implique techniquement une opération de convolution effectuée sur les distributions sous-jacentes.

Les modalités contrôlées

Tandis que le modèle de prévision probabiliste approprié des délais d'approvisionnement est typiquement multi-modal, il existe un certain nombre de modalités qui requiert un traitement particulier si un certain degré de contrôle est impliqué, par opposition aux observations passives. Par exemple, s'il est possible de demander à un fournisseur de réaliser un envoi par voie aérienne ou maritime, ces deux modes de transport ne doivent pas être mis dans le même panier d'un point de vue prévisionniste. Un certain degré de contrôle entre en jeu. Chaque mode de transport a son propre lot de variabilité, ce qui implique que des prévisions distinctes doivent être réalisées.

Le couplage à la demande

Les capacités de production étant limitées lorsque la demande surgie, le délai de fabrication a tendance à augmenter également. Ce couplage entre la demande et le délai d'approvisionnement a un impact négatif sur la qualité du service, puisque cela diminue la capacité de l'entreprise à atténuer une hausse de la demande via des achats supplémentaires ou des commandes de fabrication, ce qui est précisément dû au délai d'approvisionnement supplémentaire concerné. Ainsi, il peut être pertinent d'avoir un modèle prédictif joint en ce qui concerne la demande et le délai d'approvisionnement, étant donné que les stocks tampons dépendent de ces deux facteurs.

Néanmoins, lorsque l'on prend en considération les unités de fabrication qui ont suffisamment de flexibilité pour (ré)organiser leurs files d'attente en termes de tâche, les délais d'approvisionnement observés dépendent grandement de l'ordre de priorité donné à chaque tâche spécifique. Ainsi, la modalisation prédictive appropriée du délai d'approvisionnement doit prendre en compte l'aspect file d'attente du problème, étant donné que les délais peuvent drastiquement varier en fonction des choix arbitraires de priorisation. Ce degré supplémentaire de contrôle peut être exploité pour atténuer l'impact fait par une hausse de la demande.

Le délai de la demande

Le délai de la demande concerne la quantité d'articles à fournir dans la durée du délai d'approvisionnement. Cette valeur est importante car, pour éviter les ruptures de stock, le stock total (soit la somme du stock disponible additionné au stock en commande) doit rester en permanence supérieur au délai de la demande. Lorsque le stock total descend en-dessous de ce niveau, il est certain qu'une rupture de stock se produira.

Si l'on part du principe que les prévisions probabilistes peuvent être réalisées à la fois au regard de la demande future et du délai d'approvisionnement futur, il devient impossible de calculer des estimations de quantiles (élevés) en ce qui concerne le délai de la demande, tel que défini comme suit :

$$\text{QDélaiDemande}(\tau, y, L) = Q_\tau \left[ \sum_{t=1}^{L_\omega}{ y_\omega(t) } \right]_{{\omega \in \Omega}}$$ Où:

  • $0 \leq \tau \leq 1$ correspond à la cible de l'estimation quantile
  • $y$ correspond à la demande, qui varie au cours du temps
  • $L$ correspond au délai d'approvisionnement
  • $Q_\tau[..]$ correspond au quantile de la fonction interne à valeur réelle
  • $\Omega$ correspond aux divers résultats possibles
  • $t$ correspond au temps, le chiffre 1 étant la première période future
  • $y_\omega$ correspond à la demande associée au résultat $\omega$
  • $L_\omega$ correspond au délai d'approvisionnement associé au résultat $\omega$

Cette estimation quantile du délai de la demande est intéressant lorsqu'il s'agit de tenter de maintenir un niveau cible de service. Si l'on considère qu'un modèle d'inventaire simple constitué d'un unique SKU (stock keeping unit), d'un unique fournisseur, et d'aucun MOQ, alors la quantité à réapprovisionner à tout moment peut être définie par la formule suivante :

$$\text{ReorderQty}(\tau) = \max\left(0, \text{QDélaiDemand}(\tau) -\text{OnHand} -\text{OnOrder}\right)$$ Where:

  • $\text{OnHand}$ correspond au stock disponible
  • $\text{OnOrder}$ correspond au stock en commande

Cette formule présuppose de manière implicite qu'aucune demande ne soit perdue lorsqu'une rupture de stock se produit. Cette présupposition n'est, dans de nombreux cas, pas raisonnable (comme par exemple dans la vente au détail, domaine dans lequel les clients renoncent, choisissent un substitut, ou se tournent vers la concurrence au lieu de simplement retarder leur achat). Afin de lever cette hypothèse, il est impératif de modéliser explicitement l'impact de la demande perdue. Cela est d'autant plus important lorsque la demande dépend grandement de la saisonnalité, puisque les marchandises devenues disponibles après un pic saisonnier peuvent demeurer invendues ou inutilisées durant une longue période.

Les boucles de rétroaction influencées par le délai d'approvisionnement

Le délai d'approvisionnement peut être perçu comme un facteur d'entrée pour calculer le réapprovisionnement, comme cela a été mentionné précédemment. Néanmoins, le délai lui-même dépend du calendrier de commande (ou de production). De surcroît, le calendrier lui-même est conçu pour permettre de réaliser les économies d'échelles visées, en atteignant l'EOQ (quantité économique de commande), le MOQ, ou la taille nominale du lot de production.

De cette façon, les praticiens de la supply chain font souvent face à une boucle de rétroaction entre la décision qui doit être prise le jour-même (réapprovisionnement et commande), et le moment où il est attendu que cette décision soit répétée à l'avenir. En d'autres termes, la quantité à commander le jour-même dépend de la date de la prochaine commande : une seconde commande plus tardive signifie qu'une quantité plus conséquente est requise. Cependant, la date de la prochaine commande est à son tour influencée par la première commande : une première commande conséquente signifie que la seconde commande sera passée plus tardivement.

La modélisation explicite et l'optimisation numérique de cette boucle de rétroaction n'étant pas triviales, les praticiens de la supply chain établissent fréquemment un calendrier approximatif (c'est-à-dire une commande par semaine ou par mois), qui correspond en quelque sorte aux quantités visées pour atteindre la taille de commande souhaitée (c'est-à-dire l'EOQ, le MOQ, ou la taille de lot). Ce calendrier est ensuite considéré comme étant fixe, ce qui laisse les quantités à commander varier selon les besoins. Cependant, cette approche, du fait de la nature de sa conception, introduit des actions inefficaces, puisque la supply chain n'exploite pas tous ses degrés de liberté.

De meilleures solutions numériques peuvent être pensées pour traiter dès le début cet angle de boucle de rétroaction. Les algorithmes utilisés au sein de ces solutions relèvent généralement d'un apprentissage renforcé. Détailler ces algorithmes dépasse cependant le cadre du présent document.

Problèmes spécifiques aux verticales

Les délais d'approvisionnement sont variés, et l'angle adéquat varie généralement de concert avec la verticale concernée. Dans la section ci-dessous, nous passons en revue quelques verticales présentant des défis spécifiques notables qui sont pertinents vis-à-vis des délais.

Durée de conservation des aliments frais

Les aliments frais sont hautement périssables, et, par conséquent, ces produits ont une durée de vie courte. Réduire les délais est ainsi généralement essentiel pour préserver autant que possible la valeur marchande des produits à mettre en rayon. C'est la raison pour laquelle, lors de l'évaluation des options (emballage, transport) qui ont un impact sur les délais, ces options influencent non seulement la qualité du service, mais souvent aussi les revenus et les pertes qu'il est attendu que la supply chain dans son ensemble génère.

Par ailleurs, les marques ou distributeurs sont généralement confrontés à plusieurs options d'approvisionnement, avec des compromis distincts entre les délais et la durée de conservation. Par exemple, une marque peut acheter directement au producteur, ce qui implique un long délai d'approvisionnement, mais, lors de la réception des produits, implique une longue durée de conservation. Une marque peut aussi acheter ses produits auprès d'un grossiste, ce qui implique un délai d'approvisionnement moindre, mais aussi une durée de conservation moindre après réception. Dans ces situations, une optimisation digne de ce nom de la supply chain permet de trouver un équilibre entre ces deux options, ce qui, en retour, implique de réaliser une analyse prédictive des délais et des durées de conservation respectifs.

Le délai d'exécution pour les MRO

Les MRO (Maintenance, Réparation, Opérations) gèrent les composants réparables. Pour que tout changement de composant puisse avoir lieu, un composant fonctionnel doit être disponible et facile d'accès lorsque le composant démonté n'est plus fonctionnel jusqu'à sa réparation. Le délai total qui s'écoule entre la demande de remplacement du composant, et la re-disponibilité de l'unité fonctionnelle est appelé délai d'exécution.

Le stock de composants dans les mains du MRO dépend directement du délai d'exécution. En effet, si le MRO avait (théoriquement) la capacité de réparer instantanément un composant non fonctionnel, aucun stock ne serait nécessaire. Par conséquent, la prévision et l'optimisation du délai d'approvisionnement apparaissent bien plus importants que la prévision de la demande, en ce qui concerne les MRO.

L'accent mis sur l'analyse du délai d'exécution (par opposition à celle de la demande) est généralement aggravé par la nature des réparations imprévues, qui sont précisément dues à des pannes qui impliquent un certain degré d'incertitude pour exécuter les processus physiques sous-jacents (c'est-à-dire que s'il y avait un moyen de régler le problème de manière pro-active, alors les diagnostiques feraient de ces opérations des réparations programmées).

La logistique inverse pour le commerce électronique

La plupart des commerces électroniques tournés vers les consommateurs offrent désormais, dans la majorité des pays, la possibilité de renvoyer les marchandises si elles ne sont pas au goût du consommateur une fois le produit reçu. Cependant, le taux de retours venant des consommateurs varie grandement d'un pays à l'autre, ce qui est majoritairement dû à des raisons culturelles. Par exemple, dans le commerce électronique de la fast fashion (de la mode éphémère), les consommateurs allemands ont généralement un taux de retours supérieur à 50%. Ces chiffres élevés sont partiellement dus à leur habitude de commander un article en plusieurs tailles pour n'en garder qu'une seule.

Lorsque les taux de retours sont élevés, le vendeur en ligne doit anticiper le fait qu'une large portion de son stock lui reviendra; autrement, ce vendeur risque de se retrouver systématiquement avec des surstocks, puisque les articles lui sont renvoyés après que les commandes de réapprovisionnement sont passées. Néanmoins, il existe trois incertitudes concernant les retours à venir : tout d'abord, la question de savoir si les articles vont, ou non, être renvoyés, puis, celle de savoir si ceux-ci réussiront le contrôle qualité à leur retour, et enfin, combien de temps se sera écoulé avant que ces articles ne puissent être revendus.

Ces problèmes de prévision se prêtent bien à une analysée structurée hautement spécifique. En effet, le nombre maximum d'articles qui peut être renvoyé à tout moment est plafonné par le volume d'expéditions récentes. Plafonner les activités de suivi est d'un intérêt capital du point de vue de la supply chain. Par ailleurs, lorsque l'on est confronté à une situation du type "3 tailles sélectionnées, 2 tailles renvoyées", il est également possible d'anticiper de manière assez certaine la fraction de la commande du consommateur qui sera renvoyée.

Les entreprises de leasing

Les entreprises de leasing (de crédit-bail), comme les entreprises de leasing de voiture, ou de fournitures de bureau, sont confrontées à des situations qui sont relativement proches de celles des MRO, même si elles ne sont pas identiques. En effet, le niveau adéquat du stock dépend de la demande future, mais également des taux de rétention future, puisque le stock revient à l'entreprise de leasing une fois que le prêt arrive à son terme. Les entreprises de leasing n'exerçant pas un contrôle total sur la durée du prêt, ces durées doivent faire l'objet de prévisions afin d'optimiser le stock. La durée de ces périodes de rétention, ainsi que leur effet sur le stock, peuvent être analysés et anticipés à travers le prisme des délais d'approvisionnement réguliers.

Cependant, la plupart des entreprises de leasing exercent un certain degré de contrôle sur la période de rétention à travers leur tarification et leurs offres spéciales qu'elles peuvent proposer à leurs clients. De la même façon qu'un vendeur au détail peut stimuler la demande pour un produit en le mettant en promotion, une entreprise de leasing peut stimuler sa période de rétention en proposant des termes plus favorables au client. Ainsi, dans les situations de leasing, l'analyse de la tarification est intimement liée à celle du délai d'approvisionnement.

Les anti-modèles de délai

Le terme "anti-modèle" fait référence aux pratiques, processus, ou outils qui se veulent être des solutions, mais qui ne parviennent pas à donner les résultats escomptés. Dans les supply chains, les délais d'approvisionnement sont sujets à une série d'anti-modèles que nous passons en revue dans cette section.

Le manque d'appréciation

Les délais sont une des raisons principales pour lesquelles la planification et la prévision ont la moindre importance du point de vue de la gestion de la supply chain. Cependant, les délais, en tant que phénomène à modéliser et façonner, ne reçoivent généralement qu'une maigre portion de l'attention que les autres phénomènes concurrents, comme la demande, reçoivent. De nombreux instituts dédiés à la prévision de la demande existent, mais aucun n'est dédié à la prévision du délai d'approvisionnement. Ce grand déséquilibre en termes de répartition des efforts mène fréquemment à des situations où les analyses quantitatives sont effectuées au gramme près (du côté de la demande) afin de les arrondir ensuite à la tonne la plus proche (du côté du délai d'approvisionnement). La plupart des verticales nécessitent que les délais soient considérés comme une priorité dans l'optimisation de la supply chain, au même titre que la demande, à la fois en termes de processus et d'outillage.

Surutilisation

Dans la plupart des supply chains, la majeure partie du stock (y compris les matières premières et les produits semi-finis) passe la majorité de son temps en état stationnaire à attendre l'opération suivante. Les files d'attente de traitement ont tendance à se former à chaque étape de la supply chain, et chaque file vient avec son propre temps d'attente. Néanmoins, à mesure que l'utilisation d'un actif se rapproche de 100%, le temps d'attente au sein d'une file se rapproche de l'infini. Par conséquent, le taux d'utilisation des actifs représente un compromis entre l'amortissement de ces actifs, et les délais d'approvisionnement que cela implique. Ce compromis consiste à équilibrer les rendements décroissants des taux d'utilisation les plus élevés et les temps d'attentes qui s'accroissent de manière exponentielle.

Naviguer à vue

Le premier pas pour améliorer le délai d'approvisionnement consiste généralement à attribuer correctement la responsabilité à la partie spécifique du processus qui est à l'origine du plus gros retard pouvant être évité. Cependant, les mesures du délai d'approvisionnement elles-mêmes peuvent être trompeuses. Par exemple, lorsque l'on mesure le délai d'un fournisseur, si les palettes livrées restent souvent sur le quai sans être traitées dans l'attente de leur réception électronique, alors les mesures peuvent largement accroître le délai du fournisseur, alors que le processus qui fait défaut est celui de la réception. Ces problèmes ne peuvent généralement pas être traités à travers une analyse de données, mais nécessitent des observations sur le terrain afin de comprendre si le processus d'obtention des données peut, ou non, être considéré comme fiable. Par ailleurs, l'acquisition même d'outils électroniques peut accroître le délai d'approvisionnement global étant donné que cela représente une charge de travail supplémentaire pour les employés, ce qui est contraire au but initial.

L'émergence des LIFO

Le traitement des travaux ou des commandes selon le principe FIFO (premier arrivé, premier sorti) est généralement toujours une nécessité si l'on souhaite garantir une qualité raisonnable de service. En effet, les violations du principe FIFO génèrent de manière erratique des délais excessivement longs. Néanmoins, au niveau physique, le principe LIFO (dernier arrivé, premier sorti) tend à émerger naturellement dans de nombreuses situations, et éviter que ces situations LIFO n'émergent implique de faire des efforts spécifiques. Par exemple :

  • Chaque ordre de travail entrant (prélèvement, production, réparation, etc.) est automatiquement imprimé sous forme de "fiche de travail". Toutes les feuilles de travail entrantes sont imprimées dans une boîte. Cependant, en raison de la nature du processus d'impression, les derniers travaux entrants se trouvent sur le dessus de la pile, ce qui oriente les opérateurs vers la méthode LIFO.
  • Si un convoyeur se trouve être trop court, les marchandises ont tendance à déborder du convoyeur et peuvent être posées au sol au début du convoyeur. Un tas de marchandises se forme alors rapidement, et les marchandises qui sont là depuis plus longtemps se retrouvent au bas de la pile. La réduction de la pile de marchandises suit alors l'ordre LIFO.
  • Lorsque des boîtes ou palettes sont déchargées sur un quai à travers un flux de transporteurs, les marchandises dernièrement arrivées ont tendance, à moins que le quai ne soit vidé suite à chaque opération de déchargement, à être déposées devant, ou au-dessus, des précédentes, ce qui résultent en un LIFO lors du traitement des marchandises.

Notes

(1) A partir de 2020, seuls trois pays produisent des RAM (mémoires vives), un composant logiciel essentiel dans les ordinateurs modernes. Egalement, près de 90% des réserves et de la production mondiales de lithium sont entre les mains de trois pays, un élément essentiel pour les batteries modernes.